Humeurs taurines et éclectiques

dimanche 19 octobre 2008

Dissection médiatico-taurine

COMMENT CONDITIONNER LE TELESPECTATEUR AUX FUTURS INDULTOS

Un reportage apparemment innocent et anodin, transmet à quelques millions de téléspectateurs, une série de messages qui le sont infiniment moins, pour qui sait ou veut les décrypter. Voilà comment une émission de grande audience, supposée mise en scêne par des spécialistes (donc des cautions indiscutables pour le vulgum pecus) modèle et oriente le goût d'un public intéressé mais peu informé, impose subrepticement une norme.
Il y a ce qu'on y dit, ce qu'on y montre, mais aussi et surtout, ce qu'on n'y dit pas et ce qu'on n'y montre pas.
En préambule de l'émission, notons l'importance de l'avertissement: «Déconseillé aux moins de dix ans». Comment? les «Onze mille verges» ou quelque film gore diffusés sur une chaîne grand public à 11h!
Que nenni! seulement le magazine publicitaire du «toreo moderne», animé par l'enthousiasme juvénile, impartial et désintéressé de quelques vieux routards des callejons, triés sur le volet. Certes, on n'a pas été les chercher à Toros ou à Campos y Ruedos. Ce ne sont pas, selon le mot de Paco Aguado (6TOROS6 n°746 du 14 au 20 octobre 2008), des «hooligan del torismo». On ne sait d'ailleurs pas qui ils sont, le reportage n'étant pas signé, le commentateur, Monsieur X, n'étant pas identifié. Ainsi déroge t-on, entre autres, à l'une des règles d'or du journalisme.

SIGNES DU TORO samedi 18 octobre FR3: Olivier Margé.
http://jt.france3.fr/regions/popup.php?id=t33_tercios&video_number=0

VOIX OFF: Mais voici d'abord le combat de Vermentino, le toro de Robert Margé, qui a fait sensation à Nîmes lors de la feria des vendanges. (BRINDIS) Salvador Vega ne se contente pas de se découvrir avec révérence quand il dédicace au public le combat qu'il va livrer à Vermentino le toro de Margé.[...].
Olivier Margé 25 ans est le mayoral de l'élevage familial, il assiste à la corrida dans le callejon avec son ami Jérémie Banti. Son père est caché sous les tribunes. Sa mère, ses soeurs, ses beau-frères, sont quelque part dans les gradins.
Vermentino est un bon toro, peut être même un très bon toro. Vega va le toréer puis le tuer. Mais beaucoup dans le public et parmi les professionnels auraient voulu qu'il fût gracié [...]
JALEOS
Olivier MARGE: «- Le toro est très, très bon, il humilie beaucoup, il baisse la tête avant le cheval, il galope. Le plus important, c'est le galop. Pour l'instant parfait! Il a un très, très bon galop. C'est trop bon de voir un toro galoper comme ça!»
SEQUENCE DERECHAZOS (AU PICO) LONGUE CHARGE DE VERMENTINO
Olivier MARGE: «Quoi ça me donne des frissons. Aah!» SOURIRE D'AISE.
Olivier MARGE: «- Allez démarre!» LE TORO PART. DERECHAZOS PICO PFTT ADMIRATIF «[- ça mérite de faire une statue? incompréhensible]». «- Quand vous voyez trente passesPFTT ADMIRATIF
Olivier MARGE: «- Un toro comme ça à Nîmes, c'est extraordinaire! Même s'il en sort qu'un! PFTT EMOTION Sa mère, c'est une vache qu'on a retienté au campo et elle s'est avéré très, très, très, bonne, malgré qu'elle avait été toréé avant! Sortie extraordinaire et son fils il est monumental, c'est extraordinaire. Meilleur toro que ça on peut pas! C'est le top! Et donc sa mère très, très, bonne. Son père, c'est un semental de chez nous. PFTT EMOTION Tu vois comment il est le toro!» PFTT EMOTION
INTERVENTION OPPORTUNE D'UN BANDERILLERO EN SOUS TITRE: «- Demande la grâce. Vas-y!»
Olivier MARGE: «- Non, du calme!»
BANDERILLERO EN SOUS TITRE: «- Encore trois séries comme ça et on le grâcie»
BANDERILLERO EN SOUS TITRE: «- C'est un toro extraordinaire, c'est sûr. Ca sera bien pour toi! Lance toi! Demande la grâce!»
Olivier MARGE: «- C'est vrai qu'il charge bien.»
EN DOUBLON, LA FAENA, NATURELLES TOUJOURS AU PICO, REDONDOS TOUJOURS AU PICO
LE TORO S'ESSOUFFLE ET COMMENCE A SE DISTRAIRE.
EMOTION DU JEUNE GANADERO DONT LES YEUX ROUGISSENT ET LA GORGE SE NOUE

VOIX OFF:
Vermantino ne sera pas gracié. Peut-être parce que Salvador Vega a été trop cérémonieux et pas assez exigeant. Peut-être parce que la pluie qui commence à tomber douche un peu l'enthousiasme du public.
Sous les tribunes et sur les gradins, tous les Margé ont la larme à l'oeil.

CRIS: INDULTO, INDULTO FIN DU REPORTAGE

Ite missa est.
D'emblée, le journaliste exprime un présupposé et un choix significatif: le combat débute avec le brindis.
De premier et de second tercio, il n'est pas question. Non seulement l'image ne les montre pas, mais au cas où l'on n'aurait pas compris, le commentateur enfonce le clou: «Salvador Vega ne se contente pas de se découvrir avec révérence quand il dédicace au public le combat qu'il va livrer à Vermentino ...». D'évidence, pour les sectateurs du torero moderne, le combat, le vrai, le seul, l'unique, ne commence qu'au troisième tercio!
Puis suit la séquence émotion: le beau jeune premier, son copain, Papa, Maman, la bonne et le canari sur ou au dessous des gradins. Toutes informations éminemment plus objectives et capitales que les caractéristiques, l'histoire, la politique de la ganaderia. On va tout de même pas emmerder le grand public avec des sornettes d'encastes qui n'intéressent que les ayatollahs tout de même!
Revenant au grands fondamentaux, et négligeant des termes de nature à encombrer l'entendement nécessairement limité des masses, tel que caste, bravoure, noblesse, trapio, le commentateur se montre alors précis et pédagogue: «Vermentino est un bon toro, peut être même un très bon toro». Il pousse même la perspicacité jusqu'à hasrder un pronostic: «Vega va le toréer puis le tuer». Pour finir sur la considération fondamentale du jour: «Mais beaucoup dans le public et parmi les professionnels auraient voulu qu'il fût gracié». Tout cela sur fond de faena plutôt rectiligne, décroisée, et au pico et surtout de jaleos complaisants du callejon, propres à assurer le spectateur de la qualité de la prestation: c'était fantastique puisque même les «professionnels» s'en épataient!
S'ensuivent les images simultanées du brave jeune homme et de la faena, accompagnées de commentaires propres à comprendre en profondeur la lidia de la merveille bovine.
A ce stade, entendons-nous bien, il n'est nullement question de mettre en cause le jeune Margé, qu'on aurait été mieux inspiré de laisser tout à une émotion réelle, sincère et compréhensible. Non, il s'agit de l'usage qu'un journaliste -ou supposé tel- en fait, du profit qu'il en tire.
C'est Simon Casas qui sera content: «-Un toro comme ça à Nîmes, c'est extraordinaire! Même s'il en sort qu'un»
Comme semble ravi un banderillero opportunément intervenu et dont les propos sont limpides: «Demande la grâce. Vas-y!». Ah, c'est que le coquin sait bien qu'un bon indulto, pour être dûment homologué par la F.I.I. en gestación (Federación Internacional de los Indultos), doit partir du callejon (ou à défaut des barreras). Le cave se rebiffe et résiste: «- Non du calme». Mais le serpent tente le nouvel Adam: «- Encore trois séries comme ça et on le gracie».
Comment être plus explicite? On s'en doutait, mais la confirmation est éclatante: de la qualité des passes, des piques, de la bravoure, de la caste, ON s'en tamponne abondamment le coquillard. ON s'intéresse uniquement à la muleta et au nombre de séries de passes. Qu'elles soient d'une insipidité staracadémique, qu'elles n'aient aucun effet, qu'elles soient décroisées ou/et au pico, ON s'en fout, tant qu'il obtient son content de redondos, de cambiadas et d'adornos en tout genre.
Et le tentateur de renchérir«- C'est un toro extraordinaire, c'est sûr. Ca sera bien pour toi! Lance toi! Demande la grâce!». Comment le téléspectateur néophyte pourrait-il rester insensible à tant d'insistance, de prévenance, d'assurance, de la part d'un «professionnel», qui plus est ibérique, donc connaisseur?
Et le charmant éphèbe d'être pris par l'émoción, avec commentaire compassionnel à l'appui.
Salopards de présidents qui n'ont pas gracié Vermantino «peut-être» à cause de cet empoté de Salvador Vega «cérémonieux et pas assez exigeant» (le petit personnel n'est plus ce qu'il était!) ou «peut-être» de ces mollusques d'aficionados qui s'affadissent après quelques gouttes, en dépit des exhortations pourtant expressément formulées par la claque callejonesque!
Maudits soyez vous de condamner à l'affliction les bons Margés, père, mère, soeurs, beau-frères et consorts, sur et sous les gradins! Ne comprenez-vous pas le drame inexpiable que vous infligez à une honnête famille française, nombreuse de surcroît!
Allons! Vous ferez mieux la prochaine fois.
Assurément, Monsieur X, le commentateur, aurait pu s'enquérir du point de vue de la présidence, d'aficionados reconnus, de «dissidents». On aurait pu évoquer ces gros mots que nous rappellions plus haut: trapio, type, caste, bravoure; carrément parler obscéne: sentido, genio; voire même tendre vers le pornographique: pique, sauvagerie.
A quoi bon! Il ne s'agit pas d'analyser, il s'agit de convaincre.
Il ne s'agit pas de donner à penser, il s'agit de donner à consommer.
Ainsi, un jour, après la suppression d'une pique archaïque et traumatisante, appelée à grands cris par le lobby du «toreo moderne», c'est à dire normalisé, aseptisé, korrect, pourra t-on sereinement supprimer aussi la mention «Déconseillé aux moins de dix ans».

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