Humeurs taurines et éclectiques

lundi 27 avril 2009

ESCAPADE SEVILLANE: TOROS?

J'adore ce travers si aficionado qui consiste, sous le coup de la déception ou sous l'impulsion d'un suivisme grégaire, à asséner des propos définitifs: tel torero est fini, telle ganaderia se décaste, telle plaza dégringole irrémédiablement, etc.
Certes nous sommes gens du sud, et en tant que tels prompts à la parole facile et aux conclusions excessives, mais quand même, il ne faudrait pas pousser le bouchon trop loin, et/ou mémé dans les orties.
J'entends, je lis, ça et là, des propos péremptoires et irrévocables sur la feria de Séville et notamment sur les produits de ce brave Victorin, voué aux gémonies, enterré vif à six pieds sous terre, calciné en effigie, pour avoir osé gâcher la liturgie sévillane.
Les mêmes tirades de comptoir affligent les toreros, comme si l'excellence devait faire loi. C'est malheureusement ainsi que s'exerce la tyrannie des médiocres.
Il convient peut être dans cet océan d'illusions perdues, de désirs avortés et d'investissements non rentabilisés, de revenir un tantinet à la raison.
A t-on, de mémoire d'aficionado même cacochyme, le souvenir d'élevages qui tiennent ainsi le haut du pavé depuis tant de temps, que celui de Don Victorino?
Depuis le 10 août 1969, où Baratero fut gratifié d'une vuelta pour être exact.
40 ans de succès irréguliers mais répétés!
Qu'on me cite d'autres ganaderias (dans ce créneau bien sûr) qui fassent actuellement preuve d'une telle constance sur une telle durée et à un tel niveau et je ferai amende honorable.
Il faut savoir ce que l'on veut.
Ou bien on recherche le produit normalisé, standardisé, qui réponde à tous coups à l'attente du «consommateur», y compris du consommateur de toros-toros, car il en va de ces derniers comme des adeptes du toro moderne, ils comptent dans leurs rangs autant de gourmands que de gourmets. Il y a ceux qui prennent les choses comme elles viennent et se font une philosophie de la diversité du sort, et puis il y a les syndicalistes du torerisme qui exigent le débit régulier d'une qualité assurée.
Ou bien l'on accepte l'imperfection des choses, la variation des crus, la dent de scie, l’apothéose suivie du désastre.
C'est le choix de la force et de l'irrégularité des saveurs -y compris l'amertume- contre la fadeur des produits de consommation de masse.
Il n'est pas là question que de tauromachie, il est question d'éthique, et d'esthétique.
Et puis aurait-on oublié de qui l'on parle?
Don Victorino, l'homme aux dents d'acier, en dépit de sa pharamineuse réussite, demeure ce qu'il a toujours été: un maquignon; de génie certes, mais un maquignon tout de même. Un profil atypique que beaucoup ne lui pardonneront jamais. Ferait-on les mêmes reproches, aurait-on les mêmes exigences avec les dynastes Miuras, qui de tout temps ont connus les mêmes sommets et les mêmes gouffres, les mêmes lubies et les mêmes caprices?
On peut raconter ce que l'on veut, envisager toutes les conjectures, poser toutes les hypothèses, s'imaginer tous les scénarios, Victorino, lui ne rêve pas.
En bon fils de la terre, réaliste et la tête près du bonnet, il sait qu'on n'étripe pas la poule aux oeufs d'or, et qu'on ne lâche pas la proie pour l'ombre.
Il sait qu'on ne peut côtoyer impunément mère Fortune à demeure, et que l'ortolan ou le caviar à tous les repas finissent par lasser. Il sait surtout que le désir naît avant tout du manque et de la frustration.
Il vend ses toros au plus cher, POUR CE QU'ILS SONT, pourquoi voudrait-on qu'il change une recette qui marche et qui l'a porté au pinacle? Pourquoi devrait-il cesser de produire ce que l'on ne voit nulle part pour faire ce que l'on voit partout?
On dit dans les milieux autorisés que Victorino ne tient plus les rênes, qu'il a préféré la quantité à la qualité, qu'il jouit de la réputation thésaurisée.
Je ne puis me résoudre à le penser. Peut-être ai-je tort.
Je préfère croire qu'il distille l'essence de ses albasseradas là où il veut, comme il veut, quand il veut, et que le reste de la camada n'est là que pour remplir son bas de laine au détriment des gogos qui persistent à croire qu'on peut réussir en fournissant les trop nombreux lots qu'il disperse.
Il y a 20 ans on entendait déjà qu'il fourgait les bestioles du reste de la famille.
Sacré Victorino! Tu en auras couillonné quelques-uns avec tes airs bonhommes et tes anecdotes ressassées! Sans parler du streep-tease cicatriciel pour les bourgeoises en mal d'émotions rustiques qui s'esbaudissaient et se pâmaient à la vue de ta pampare ravagée.
Avant que d'aucuns se ridiculisent à l'occasion du prochain triomphe de ses petits-gris, incitons les à une prudente réserve. Prenons le pari que Victorino n'a pas fini de nous étonner...
En revanche, bien plus préoccupantes sont la faiblesse, la soseria, la mansedumbre, l'ineptie pour tout dire, des élevages «modernes», qui eux sont calibrés pour offrir le rendement attendu par les figur(it)as contemporaines. Enfin, surtout préoccupantes pour les adeptes des faiseurs de passes, empresas et chroniqueurs confondus.
En ce qui concerne les contempteurs de cette tauromachie du paraître et de la superficialité, ce n'est que la conséquence logique d'un paradigme.
Tout cela incite à l'optimisme: nous voyons peut-être le bout d'un épisode transitionnel et d'une mode. Le retour à la véritable émotion, celle qui naît avant tout du combat, se profile au bout du tunnel.
Certains toreros plus lucides que ceux qui les encensent prennent conscience de l'impasse. El Juli, par exemple, s'intéresse de plus en plus aux Santa Colomas, comme à Bayonne. Les élevages de «troisième zone» d'aujourd'hui seront peut-être les phares de demain!
Ceux qui ont pris le risque inconsidéré, intéressé ou démagogique de violer la boite de Pandore, ceux qui en ont laissé échapper les indultos ou les simulacres de Las Vegas, ceux qui s'apprêtaient à tous les compromis commencent d'ores et déjà à faire machine arrière et à s'émouvoir vertueusement des avanies qu'ils ont suscitées.
Il faut toutefois préciser que quand l'on prend l’élémentaire précaution d’avancer tout et son contraire on finit forcément par avoir raison...
Quand les girouettes commencent à frétiller c'est signe que les temps changent.

Hay Giralda!

Xavier KLEIN




Aucun commentaire: