Humeurs taurines et éclectiques

lundi 2 mai 2011

L’indulto salvateur


Ce qui m’irrite le plus dans l’indulto «fondateur» sévillan –fondateur paraît-il d’une nouvelle ère taurine- c’est l’espèce de vieux fatalisme qui en accompagne les commentaires.

Irritant à plusieurs titres d’ailleurs.

Tout d’abord par cette démission que l’on retrouve quotidiennement dans la vie politique et économique, ce renoncement à s’opposer, à dire non, à lutter ou tout du moins comme l’invoquait papy HESSEL, à S’INDIGNER.

Un signe parmi tant d’autres, non pas d’un affadissement de notre société (il en a été toujours ainsi depuis que le monde est monde: capitulards de tous les pays unissez-vous!), mais de la pénurie actuelle de consciences morales ainsi que de l’indigence de l’esprit de lutte et de résistance.
On joue les pudeurs (faussement?) outragées tout en se faisant une raison dans une quiétude hypocrite.
On infecte la plaie par des capitulations successives et des propos équivoques avant de se plaindre que la gangrène ait gagné, avant de se résoudre avec force larmoiements crocodilesques à une amputation devenue inéluctable, comme ils disent (il faut relire ce que dissertaient nos têtes pensantes sur l’infamie desgarbadienne: http://signesdutoro.france3.fr/index.php?page=article&numsite=1148&id_rubrique=2273&id_article=8033, quant à moi, voilà ce que j’en écrivais, qui reste totalement d’actualité: http://camposyruedos2.blogspot.com/2008/09/de-la-pitre-trivialit-dune-journe.html).

En fait, tout comme on ne peut se stupéfaire de la «chute de Barcelone» depuis longtemps prévisible, étant donné la désaffection de son environnement taurin local, on ne doit pas non plus jouer les étonnés que Séville, qui déconne sérieux depuis plusieurs années se livre à des outrances baroques qui font partie intégrante de son ADN.
Qu’on se rappelle les délires «curroromeresques» où l’on se pâmait d’importance pour une demie véronique ou un quart de naturelle donnés après trois ou quatre contrats sur la feria concédés au cher vieux débris. Qu’on se rappelle également de ces années 50 où l’on accordait sabot, corne ou même toro entier à des Arruza, des Aparicio ou des Litri.
Faut-il stigmatiser les apprentis sorciers par l’apostrophe à Boabdil (dernier émir de Grenade): «Pleure comme une femme ce que tu n’as pas su défendre comme un homme!»?
A force de louvoyer, de concéder, d’ergoter, de se réconforter trompeusement par des médecines trompeuses, «d’autrucher», de s’autocélébrer ou de s’autocongratuler, on finit par sacrifier l’essentiel à l’accessoire.
On peut continuer à se bercer des illusions que l’inscription aux «patrimoines immatériels», le passage de l’Intérieur à la Culture, l’adaptation ou la refonte des règlements taurins, la Mesa du machin, l’Observatoire du truc et même la pique à l'andalouse, à la française ou à la serbo-croate vont résoudre les problèmes, mais le résultat est là et les faits sont têtus: la «crise taurine» est essentiellement interne et endogène. La tauromachie s’effondre de l’intérieur, par renoncement à ses valeurs, et les remèdes qu’elle croit trouver sont les plus propres à achever le malade.
Quand une société choisit la jouissance (au sens psychanalytique du mot, soit une transgression perverse de l’interdit et de la Loi et donc un abandon du désir) et que cette démarche même est validée par les instances (palco, medias) qui seraient pourtant chargées de la contredire, on progresse vers la véritable barbarie. Non point la barbarie telle que dénoncée par les zantis, mais celle qui consiste à transmuter, pour de basses considérations marchandes, un rituel qui recèle du sens, en spectacle de masse qui n’en porte plus aucun.
Car là est véritablement le nœud du problème, comme il se trouve dans cette immense victoire des «zantis» qui ont parfaitement réussi à polluer le «peuple du toro», comme «ils» disent.
Comment en douter devant ce triomphe qui consacre à la fois la disparition de la pique et celle de la mise à mort? Les Z n’en demandaient sans doute pas tant et n’espéraient pas voir triompher leurs idées au cœur même du temple.
La civilisation taurine a reculé à Séville, du moins pourrait-on le croire.
La sensiblerie ambiante, la dictature de l’émotion ont percé les lignes là où elles se trouvaient les plus fragiles, dans cette Andalousie excessive qui a toujours préféré s’accommoder de la règle plutôt que de s’y soumettre.
Les cassandres se mobilisent pour annoncer l’acte fondateur d’une nouvelle tauromachie.
Il faut toutefois se défier des réactions à chaud, surtout lorsqu’elles sont excessives. On aime bien en mundillo les propos définitifs conjugués sur l’antienne du «retenez-moi ou je ne ferai rien du tout». Séville s’est montrée…sévillane, comme la danse du même nom qui est au flamenco ce que le hamburger est à la gastronomie. Faut-il en faire tout un plat?
Peut-être les cassandres prennent-ils leurs désirs secrets et refoulés pour des réalités. Et peut-être cet indulto, loin d’inaugurer une ère nouvelle constitue t-il l’annonce du reflux du flot après la crue.
Deux raisons me portent à l’envisager.
En matière historique et a fortiori artistique, l’évolution obéit à des cycles ou plutôt des mouvements pendulaires entre des tropismes opposés: action/réaction. Parents autoritaires/enfants laxistes, génération torerista des années 50, 60/génération torista des années 70, 80/génération torerista des années 90, 2000/génération torista des années 2010, 2020???
Après le cycle torerista encore actif, pourquoi ne verrions-nous pas un changement de tendance?
Les ratés et dysfonctionnements constatés ces dernières années, notamment dans les grandes ferias ne sont pas sans conséquences. A n’en pas douter, le déficit d’émotion et d’intérêt généré par le «toro moderne», sa prévisibilité, contribuent grandement à la désertion des arènes. Cette tendance «grand public», d’un «spectacle» facile d’accès et compréhensible par tous se conjugue avec une volatilité de l’auditoire, les aficiónados de tradition ne portant nullement les mêmes attentes.
A l’afición traditionnelle constituée d’habitués fidèles qui s’intéresse à la «question», à cette élite d’un savoir construit sur la durée, l’expérience et le débat s’oppose désormais, comme jamais, un public inconstant de consommateurs-spectateurs, motivé par la «réponse», qui raffole du light, du standardisé, du succès garanti, du rapport qualité/prix.
La démarche comme la réalité de ces ensembles est inconciliable voire antinomique. C’est de ce fossé qui se creuse que la tauromachie pâtit, avec des discours et des attentes qui deviennent incompatibles, la justification de la tauromachie par les uns, condamnant inéluctablement celle des autres (et vice-versa…).
En outre, l’accès régulier par les médias audiovisuels à ce qui se fait de mieux dans les meilleures ferias nuit, comme ailleurs, au spectacle vivant.
C’est ce qu’on pourrait qualifier de syndrome du caviar (ou du foie-gras, ou du saumon, au choix). Le saumon demeurait un plat de luxe, d’autant plus apprécié qu’il était rare. Pourtant, fin XVIIIème, les bateliers de l’Adour plaçaient en tête de leurs doléances le désir de n’en consommer qu’une ou deux fois par semaine, car ils en avaient marre d’en boulotter tous les jours.
A abuser de la rareté et du luxe on finit par s’en lasser. L'ennui naît de l'uniformité.
La faena, paraît-il fort respectable, de Manzana Jr. fait émerger des attentes dans toutes les plazas où il sera programmé, qui n’auront que peu de chances d’être satisfaites. Idem pour la bestiole.
Comment à ce compte ne pas envisager de préférer un abonnement TV au coût modique, plutôt que de risquer un investissement coquet dans un abono sans garantie?
En fin de comptes, caricaturalement,  abonnement contre abono, voilà le vrai dilemne et le véritable enjeu!
Il faut parier sur la lassitude de se gaver de triomphes de pacotilles obtenus à bon compte. Et sur la dictature du désir, du vrai (et non pas de la jouissance), qui lui, ne se satisfait jamais et se nourrit du manque.
C’est toute la différence entre les gourmets et les gourmands, entre les hédonistes et les jouisseurs.
Dans cette optique et cette espérance, sans doute l’indulto sévillan sera t-il salvateur.
Merci ô Maestranza de cette immense manif antitaurine qui ne manquera pas de susciter des réactions salutaires!
Xavier KLEIN
***

7 commentaires:

Bernard a dit…

Mon cher Xavier,

Avant tout, te dire le bonheur de te retrouver chez toi, de te (re)lire!...

Quant à l'indulto sévillan, si je te rejoins sur les "sévillaneries" ("séville-âneries"?), je crains qu'un revirement "torista" dans les années 2010-2020 (que tu pronostique ou appelle de tes voeux?) ait peu de chance de se produire pour la raison concrète que le combat ne pourra avoir lieu "faute de combattants" - faute de toros de lidia, car entre temps disparus (expédiés "à la saucisse" pour cause d'éleveurs ruinés de ne plus rien vendre): à la différence des plantes dont on peut conserver des variétés à l'état de petit nombre d'individus - voire de graines, les animaux ont besoin d'un minimum vital d'individus pour qu'une "race" (un "encaste") survive...

Entre temps, nous n'en goûterons que mieux notre bonheur "orthézien" (et déjà vicois)!

Abrazo fuerte - Bernard

el chulo a dit…

ole!
sauf que je ne vois là aucune raison d'optimisme; et je te signale que ces gitans dont tu fustiges l'idolatrie ont aussi bati leur gloire à las ventas, celles d'avant.
c'est sans importance mais vaut la peine d'etre dit.
que sevilla soit, à force de snobisme devenue ce qu'elle est devenue est un fait, et on connait des lieux similaires en france, ceci dit, il existait aussi une sensibilité qui pouvait ne pas plaire aux toromaches à la tronçonneuse, mais qui m'enchantait tout comme d'ailleurs las ventas et pour des raisons très différentes.

velonero a dit…

Ojala, señor Klein!
C'est vrai que tous les excés portent en eux leur contraire. Pour aller dans ton sens je voudrais rappeler la queue coupée par Palomo Linares à Madrid en 1972(8 oreilles et une queue distribuées ce jour-là à Las Ventas!). Quelques années plus tard ce n'était plus la même musique...

Xavier KLEIN a dit…

Velonero; C'est vrai qu'avec la queue de Linares on avait poussé le bouchon un peu loin!
Bernard: Pour l'instant, il en reste encore quelques uns que tu te feras (que nous nous ferons...) un plaisir de soupeser à Orthez. Il y a des irréductibles gaulois mais aussi des irréductibles ibères (ibèrent d'ailleurs leur latin!)
Chulo: Connaissant ma morelantophilie et ma rafaelolatrie, tu te doutes qu'il n'y a dans mes propos aucun signe de gitanophobie. Relis le texte de CyR et tu verras où se situe ma critique: aux mêmes lieux et gens que toi.

pedrito a dit…

Mon cher Xavier: merci pour ce texte!

Mais quel optimisme! Et comme je voudrais pouvoir le partager....
Alors que je désespère, de plus en plus, sans grand espoir de revirement, et pour les raisons invoquées par Bernard: faute de toros de lidia, alors que la plupart des ruedos n'accueille que des bestioles sans jus.

Heureusement que resistent quelques aficionados et 4 ou 5 ruedos qui sauvent l'honneur...

Abrazos à vous

Xavier KLEIN a dit…

La dernière connerie à la mode, par un maître: http://www.corridasi.com/news/news.php?id=1992

el chulo a dit…

oui en effet, c'est top!